Reconstruction

L’interview de Clémence Bechu
Directrice générale Bechu et Associés

"L'architecture et l'urbanisme doivent jouer un rôle de leadership et être une solution par la création de villes capables de soutenir la vie humaine tout en préservant les écosystèmes"

Directrice Générale associée chez Bechu & Associés, agence d'architecture et d'urbanisme reconnue pour ses projets innovants et respectueux de l’environnement, Clémence Bechue est également co-fondatrice du Biomim'City Lab, une plateforme collaborative pour développer la ville biomimétique, associée et ambassadrice de The Climate Company, une start-up pionnière dans le domaine de la résilience urbaine. Rencontre avec une femme au parcours atypique, qui fait d’une passion familiale une mission au service d’une architecture et une urbanisation plus engagée.

Construction

Présentez-vous rapidement (parcours, influences, etc.) …

Mon parcours vers l'architecture et l'urbanisme durable est, on peut le dire assez atypique. Il sʼest forgé dʼexpériences diversifiées parfois au-delà des frontières françaises qui mʼont guidé vers mes rôles actuels. Initialement attirée par la médecine, ma curiosité m'a poussée vers d'autres horizons. En effet après une année de médecine, je décide de me réorienter et obtiens quelques années plus tard un Master en finance à Paris-Dauphine. Je mʼenvole pour la Chine ou je passe deux ans pour travailler sur des initiatives liées à la transformation urbaine de Beijing pour les JO 2008 au sein de lʼagence Bechu. De retour en France, je suis recrutée par Euro RSCG C&O pour qui je travaille sur des projets environnementaux, puis je décide de compléter ma formation avec un Master spécialisé en management de projets internationaux à l'ESCP. Jʼintègre alors Capgemini Consulting en tant que consultante en stratégie banque-assurance. Deux ans plus tard, mon esprit entrepreneurial me conduit à cofonder WineSitting en 2009, une entreprise de logistique du vin en Île-de- France. Finalement, en 2014, je rejoins l'agence familiale Bechu & Associés, pour ce que je pensais nʼêtre quʼune mission de trois ans et depuis, je ne suis jamais repartie.

Vous coordonnez le développement stratégique de Bechu & Associés depuis plusieurs années, quels étaient vos objectifs personnels au début de cette prise de poste ? sont-ils remplis ?

En rejoignant Bechu & Associés en 2014, mon objectif était de repositionner l'agence et de préparer son avenir. N'étant pas architecte, je ne mʼimaginais alors pas la diriger. Puis j'ai réalisé que non seulement lʼarchitecture est une aventure familiale avec laquelle jʼai grandi et dans laquelle je me suis toujours impliquée. Mais surtout, que mon expérience extérieure me permettrait dʼapporter à lʼagence une perspective fraîche et nouvelle, au service dʼune vision plus engagée, mais toujours, basée sur le talent et lʼexpérience qui a été cultivée pendant des années par mon père et ses partenaires. Si aujourdʼhui, je co-dirige lʼagence avec mon père, ma sœur et nos associés. Je suis particulièrement fière dʼavoir pu la repositionner comme un acteur clé de la transition écologique dans le secteur de lʼimmobilier. Mon rôle dans son développement fait dʼautant plus sens quʼil me permet de continuer à entreprendre et à apprendre, à travers des rencontres et des collaborations avec des start-ups innovantes, mais aussi de faire vivre mes passions pour la science, lʼinnovation, et la transition environnementale.

Quel est selon vous le rôle de lʼarchitecture et de lʼurbanisme aujourdʼhui ?

Nous sommes confrontés plus que jamais à des limites planétaires et à une conscience écologique croissante, l'architecture et l'urbanisme doivent jouer un rôle de leadership et être une solution par la création de villes capables de soutenir la vie humaine tout en préservant les écosystèmes. Notre rôle est d'aider les humains à se reconnecter au vivant, à comprendre leur interdépendance avec l'environnement. Nous devons :

  • Concevoir des villes qui prennent soin de leurs habitants, en intégrant des réflexions autour de la santé (physique, sociale, mentale...) dans chaque projet.
  • Rendre les villes « comestibles », en repensant le lien entre alimentation et urbanisation. Lʼalimentation doit participer à la transformation de la morphologie des villes.
  • Favoriser l'économie circulaire, en réintégrant les villes dans les cycles naturels du vivant via l'innovation biomimétique.

En bref, notre mission est de protéger les hommes en les aidant à protéger la Terre, pour qu'elle les protège en retour. Pour reprendre les mots du Commandant Cousteau : “On aime ce qui nous a émerveillé, et on protège ce que l'on aimeˮ. Nous devons susciter l'émerveillement pour notre environnement, afin d'encourager sa protection.

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels les métiers de l'architecture et de l'urbanisme sont actuellement confrontés en termes de durabilité et d'impact environnemental ?

Le climat se positionne comme la clé de voûte des défis urbains contemporains, imposant à l'architecture et à l'urbanisme deux priorités essentielles : l'adaptation au changement climatique et la réduction de son accélération. Cela requiert de nos métiers, une collaboration accrue avec la science pour intégrer les données climatiques dans la conception urbaine. The Climate Company fait partie pour nous Bechu & Associés) de ces partenaires clé. Les défis auxquels nous faisons face sont dʼune part techniques, avec des enjeux comme la réduction de l'empreinte carbone, des matériaux de construction, l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments, la gestion durable de l'eau, la conception bioclimatique et la résilience aux changements climatiques. De lʼautre, sociétaux, nos projets doivent créer de lʼengagement, pour devenir réalistes l'implication des citoyens dans les projets urbains, est donc cruciale. Le temps reste également un défi important avec une véritable nécessité à repenser les processus linéaires et en silo pour favoriser une approche circulaire afin de favoriser une conception bien pensée dès le départ et représente un investissement rentable pour réduire l'empreinte environnementale des projets.

Comment votre agence, Bechu & Associés, intègre-t-elle les principes de durabilité et de respect de l'environnement dans la conception de ses projets ?

Lʼune des choses qui mʼa frappée lorsque je suis arrivée à lʼagence en 2014, était de voir la manière dont les règlements de concours étaient rédigés quant à la manière dont nous devions présenter nos projets, en « millefeuilles » : dʼabord lʼarchitecture, puis le paysage, et enfin la stratégie environnementale. Trois éléments qui en réalité doivent former un tout pour démontrer sa capacité à être résolument performants en termes de durabilité. Notre approche est à lʼopposé de cela, car nous combinons ces sujets dès le démarrage de tout projet. Lʼarchitecte-urbaniste est en réalité un compositeur. La métaphore entre architecte et musicien est dʼailleurs souvent empruntée... « Pour être durable, un projet doit naître de ses racines, et chacun de nos choix, guidé par la responsabilité que nous avons envers le vivant. » Cette phrase clé pour notre agence, comme une raison dʼêtre, définit tout à fait notre approche durable, quel que soit le projet. Elle oriente lʼensemble de nos réflexions et favorise une approche toujours contextuelle des lieux. Nous nous engageons ainsi à respecter et à valoriser lʼhistoire, tout en protégeant lʼécosystème dans lequel on sʼinsère. Elle sous-entend par ailleurs toute lʼhumilité quʼil faut toujours y mettre. Car en plus du respect dʼun lieu, il y a le respect des autres. Un projet ne se compose pas seul, mais à plusieurs. Cʼest une juxtaposition de talents et de compétences au service dʼun but commun.

Quelle place doit occuper selon vous le réemploi dans la conception des projets immobiliers ?

Le réemploi est un impondérable de lʼéconomie globalement circulaire vers laquelle notre société doit tendre. Ce constat est simple quand on sait que le secteur du bâtiment génère environ 46 millions de tonnes de déchets par an, dont plus de 85 % provient des travaux de déconstruction et de réhabilitation (données de la FFB. Favoriser le réemploi est une manière de contribuer à la décarbonation du secteur du bâtiment, à la préservation des ressources naturelles ou encore à la réduction des déchets. Je pense cependant quʼil est important de faire la part entre « réemploi », « réutilisation » et « recyclage ». En effet, on ne peut pas toujours réemployer, et les cousins du réemploi offrent des alternatives également vertueuses. Cette pratique a longtemps fait face à de nombreux obstacles, en particulier sur le plan économique, mais aussi réglementaire. Le réemploi de matériaux coûte par exemple souvent plus cher, et fait face à des normes assez rigides. Heureusement, la tendance est à l'évolution, avec des incitations financières et fiscales, des innovations technologiques et des dynamiques de marché le favorisant progressivement. Notre projet "Equilis" à Issy-les-Moulineaux, est un exemple concret où 53 tonnes de déchets ont été économisées grâce au réemploi des menuiseries, ou par le recyclage des céramiques historiques en terrazzo pour le sol. Lʼengagement et lʼinvestissement des différentes parties impliquées et leur collaboration a été essentielle, notamment le maitre dʼouvrage, Pimco. Réussir à favoriser le réemploi dès la conception des projets immobiliers permet au-delà de répondre aux enjeux environnementaux actuels de faire preuve de créativité, dʼautant plus dans nos métiers.

Quel rôle va jouer selon vous la réhabilitation dans le futur de lʼurbanisation de nos territoires, et pourquoi ? Comment le cycle de vie des bâtiments, pourrait-il en être impacté ?

La réhabilitation est un exercice passionnant qui nous permet de réinventer nos villes et qui jouera un rôle central dans le futur de l'urbanisation de nos territoires en permettant de limiter l'étalement urbain, de protéger les sols et d'assurer une densification la plus “douceˮ possible de nos villes. Elle permet également de respecter l'histoire d'un patrimoine, de rénover en recyclant, de régénérer pour réinsérer le vivant et de réduire l'impact sur l'avenir. Ces opérations nʼont pas à pâlir devant de la construction neuve, surtout quand on considère leur impact positif sur lʼaddition carbone et les solutions quʼelles apportent aux enjeux énergétiques et de décarbonation. Elles sʼinscrivent totalement dans une démarche dʼéconomie circulaire et impacteront positivement le cycle de vie des bâtiments en permettant :

  • De diminuer le prélèvement des ressources en privilégiant des matériaux durables peu carbonés, comme la pierre, le bois, la chaux et les isolants biosourcés,
  • de réduire la production de déchets et les émissions carbonées,
  • dʼallonger la durée d'usage,
  • de favoriser le réemploi, la réparation et le recyclage des matériaux

En favorisant la renaturation, la biodiversité, l'optimisation de la qualité de vie des usagers et la neutralité carbone, la réhabilitation des bâtiments contribue à rendre nos villes plus attractives, résilientes et durables pour l'avenir.

Quel est selon vous le rôle et lʼintérêt des certifications dans les projets immobilier aujourd'hui. Pouvez-vous citer une certification qui est aujourdʼhui selon vous une véritable valeur ajoutée à un projet et un exemple de projet qui illustre celle-ci ?

Conçues pour valoriser, certaines qualités spécifiques et intrinsèques aux projets immobiliers, les certifications jouent un rôle important dans les projets immobiliers en définissant des ambitions qualitatives, environnementales et de sécurité, et en valorisant financièrement les investisseurs. Leur popularisation permet par ailleurs de faire monter le niveau dʼambition du marché et donc aide à améliorer lʼimpact positif des projets, jouant parfois même un rôle fédérateur entre maîtrise dʼouvrage et maitrise dʼœuvre. Cependant, la diversité des labels peut rendre leur lisibilité complexe et il est essentiel de ne pas perdre de vue les objectifs finaux. Entre labels nationaux et internationaux, dédiés à différentes typologies de projets, ou consacrés à des thèmes spécifiques, biodiversité, qualité de vie, le risque en les recherchant est de tomber dans le piège de définir un objectif de label pour le label, et non pas pour le résultat quʼon attend. . Le label doit rester un moyen pour atteindre des objectifs fixés, et un minimum à atteindre. Un exemple de Label que je trouve particulièrement intéressant, car il engage à définir une vision holistique dʼun projet partagée par toutes ses parties prenantes est le Living Building Challenge LBC. Il sʼagit dʼune des certifications les plus ambitieuses et rigoureuses dans le domaine de la construction durable. Elle propose une approche globale couvrant tous les aspects de la construction durable au travers de 10 pétales dont : lʼénergie, lʼeau, les matériaux, mais aussi lʼéquité et la beauté. Un projet de lʼagence illustrant cette certification et son ambition de créer des bâtiments ayant un impact positif sur l'environnement et la société est le centre d'excellence en biomimétisme marin "Estran" à Biarritz, où l'eau a été utilisée comme une matière à part entière et le bâtiment a été conçu pour filtrer les eaux de la terre.

Déconstruction

Reconstruction

Quel rôle lʼArchitecture peut-elle jouer dans la prise de conscience des enjeux du mieux construire ?

Les bâtiments sont une composante essentielle de la ville durable. En tant quʼarchitecte, nous avons un rôle majeur à jouer en proposant des techniques et matériaux respectueux de lʼenvironnement, et en concevant des bâtiments et des quartiers dont la consommation énergétique est réduite, qui soient par ailleurs capables de sʼadapter à un environnement qui change. Lʼavenir de notre urbanité est intimement corrélé à la destinée de la nature. Nous devons lʼobserver, apprendre, de son fonctionnement afin dʼen avoir une meilleure appréhension et de mieux lʼintégrer aux cycles du vivant, d'où la valeur du biomimétisme. Pendant, longtemps, nous nʼavons pas vu pas su amorcer les changements nécessaires, dʼabord parce que nous nʼavions pas conscience, ensuite il y a eu la prise de conscience, mais avec une sidération qui ne faisait pas naître de solution. Heureusement, aujourdʼhui, et notamment grâce à la crise sanitaire qui aura eu pour effet positif dʼéveiller les consciences et dʼaccélérer des tendances et les mentalités, doublées de lʼarrivée dʼune nouvelle génération sur le marché font évoluer nos schémas actuels. Toutefois, nous devons réussir à faire des choix pertinents et efficaces, tout simplement prioriser et adapter face aux pléthores de solutions qui continuent encore à émerger. Nous avons besoin de nous équiper dʼoutils dʼaide à la décision. Nous avons besoin de créer plus de liens entre la science et la réalité quotidienne pour choisir, arbitrer et évoluer, afin de ne pas céder à la mode de fausses bonnes idées, et de limiter la perte dʼun temps qui nous est déjà compté. Au-delà de solutions proprement techniques, il y a donc déjà des automatismes éprouvés et applicables systématiquement pour entrer ensemble dans ce nouveau paradigme.

  • Participer à la reconstruction de la ville sur la ville, nous devons réfléchir le cycle de vie du bâtiment autrement, pour lui permettre de pouvoir se transformer et servir in fine nos besoins. Cʼest par exemple, permette au bureau de devenir du logement demain, ou pourquoi pas une école.
  • La ville du quart dʼheure est un autre bon « fil rouge » en matière de fabrique urbaine à toute échelle, car il permet de créer des sous-unités de vie dans la ville au sein desquelles pouvoir à la fois habiter, travailler, sʼépanouir, apprendre, échanger,…
  • Le biomimétisme qui sʼinscrit dans une démarche plus globale « bio- inspirée » constitue un outil dʼinnovation ultra performant à même de structurer pleinement ce nouveau modèle de ville recherché. On arrive ainsi à une économie de matériaux, un allègement des structures, une ventilation passive, un confort thermique, à une meilleure gestion du cycle de lʼeau… Mais aussi à une meilleure hybridation des usages. Les réponses sont multiples pour sʼorienter vers une empreinte positive de lʼhabitat et de quartiers entiers.

Le changement climatique nous invite à revenir au bon sens des anciens, dont lʼarchitecture était finalement une forme dʼart destiné à construire des climats au sein dʼhabitats composant avec leur environnement. Voilà donc sans doute notre mission : redonner à lʼarchitecture sa finalité climatique.

Quel rôle voyez-vous Bechu & Associés prendre vis-à-vis des enjeux climatiques dans les décennies à venir ?

Mon souhait est de continuer à évoluer en mode laboratoire de R&D, en cultivant toujours et encore plus les liens avec la science, pour développer de nouveaux outils pleinement appropriables par lʼensemble de nos équipes, à même de servir pleinement lʼensemble de nos projets. Aujourdʼhui même si lʼenvie de toujours faire mieux est là, les différents freins évoqués en début dʼinterview font que certains de nos collaborateurs sont parfois déçus de la tournure quʼont pris certains projets, cʼest-à-dire avec un niveau dʼambition dégradé en fin de projet. On mʼa dʼailleurs fait la réflexion lʼautre jour, comme quoi tous les projets développés à lʼagence nʼavaient pas le même niveau dʼinnovation environnementale, et sʼil ne fallait pas pour cela choisir nos projets, pour être pleinement raccord avec ce que lʼon affirme. Jʼai répliqué quʼau-delà du fait que le niveau dʼambition environnementale global de nos projets se soit déjà sacrément amélioré, compte tenu dʼune prise de conscience du marché, de réglementations contraignantes qui dopent celle- ci, et dʼattentes consommateurs elles-mêmes en évolution, je pouvais répondre à la question de deux manières. Soit on se positionne comme une agence ayant déjà tout compris et nʼayant plus rien à apprendre, qui va choisir les projets correspondants à un niveau dʼambition très élevé doté de tous les moyens quʼil faut pour aller au bout (financiers, du temps, une facilité dʼexécution sociale et politique, ...). En quelques sortes des moutons à 5 pattes quʼil faudrait réussir à trouver ! Et qui si tel était le cas, étant donné que leur rareté, nécessiterait de réduire drastiquement les équipes pour maintenir un équilibre économique à flot, avec le risque de véhiculer un message très déconnecté de nos valeurs. Soit on garde le cap fixé : celui dʼêtre un acteur moteur de la transition climatique de notre marché, en se disant que chaque projet est lʼoccasion de sensibiliser, de faire mieux, et surtout de continuer à apprendre avec un marché qui change. Nous sommes dans une économie de la connaissance : plus on partage, plus on grandit.

Quelles sont les initiatives et démarches que vous considérerez comme prometteuse face aux enjeux écologiques et pourquoi ?

Au risque de me répéter : le biomimétisme et toute démarche plus large dʼinnovation bio-inspirée. Cela booste la mise en œuvre de vision holistique à même de mettre en marche lʼensemble des parties prenantes dʼun projet, dʼautant plus que cela confère un récit collectif enthousiasmant, et qui invite donc à faire ensemble. Prenons pour exemple lʼenjeu du confort thermique. Bien que le mois de mai 2024, fasse partie des plus pluvieux qui aient été enregistrés en France, cʼest surtout lʼabsence de soleil qui le caractérise. Si ce déficit de soleil pèse sur le moral, son retour peut aussi y nuire. En effet, lʼaugmentation des températures induite par le dérèglement climatique accroît le risque dʼîlots de chaleur urbain et la dégradation de la qualité de vie des urbains. La chaleur excessive intensifie les besoins en climatisation, entraînant une consommation dʼénergie accrue et des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, ce qui alimente un cercle vicieux. De plus, les surfaces bétonnées et asphaltées des villes absorbent et retiennent la chaleur, exacerbant les températures élevées. On le sait, les canicules seront, dʼici 2050, deux fois plus fréquentes et/ou intenses avec pour conséquence dʼaugmenter les risques sanitaires (crampes, déshydratation, problèmes respiratoires, ...), et tout simplement dégrader la vie sociale, donc le moral des troupes. Avec la raréfaction des ressources, il est urgent dʼinnover de manière sobre et aussi « low tech » que possible pour répondre aux trois enjeux qui sont au cœur de la transition climatique de nos villes : atténuation, adaptation, et optimisation des économies circulaires. Pour que nos villes deviennent plus résilientes et agréables à vivre en été, il est essentiel dʼadopter une approche systémique, où lʼurbanisme, lʼarchitecture et lʼaménagement paysager collaborent pour créer des environnements intégrés et harmonieux. Lʼintégration de toitures végétalisées, de façades réfléchissantes et de couloirs verts ne sont que quelques-unes des stratégies inspirées par la nature. Et c'est dans cette perspective que le biomimétisme prend tout son sens, en nous offrant des solutions innovantes et respectueuses de lʼenvironnement pour affronter les défis climatiques actuels et futurs. En s'inspirant des mécanismes et stratégies développés par les organismes vivants au fil de millions d'années d'évolution, le biomimétisme permet aux concepteurs dʼinnover pour améliorer notre quotidien urbain, afin de favoriser le confort dʼété, à la fois « indoor » et « outdoor ». En imaginant nos villes comme des entités vivantes, nous pouvons aller plus loin que réintégrer la nature en leur sein, pour que ce soient les villes elles- mêmes qui se réintègrent aux grands cycles de la nature. Et ainsi prendre le meilleur de ce que le soleil a à nous offrir, sa lumière, son énergie vitale, et quʼil reste ainsi notre meilleur ami pour longtemps.

Si vous étiez nommée responsable de la transformation durable du secteur de lʼimmobilier, quel serait votre plan dʼaction, quels en seraient les axes principaux à mettre en place et pourquoi ?

Mon plan d'action pour la transformation durable du secteur de l'immobilier comprendrait trois axes principaux axés sur l'éducation au climat, les collaborations interdisciplinaires et la lisibilité pour les consommateurs :

  1. Éduquer au climat: il est essentiel de sensibiliser les acteurs du secteur de l'immobilier et le grand public aux enjeux climatiques et aux actions à mettre en place pour réduire l'empreinte carbone. Or force est de constater que nous faisons face à un « illettrisme climatique », un réel enjeu économique et de santé publique, car non-sachants, les gens sont incapables de faire la part des choses dans les messages trop souvent alarmistes qui leur sont donnés. Selon une étude menée par Allianz Research en 2023, seulement 20,5 % des Français peuvent être considérés comme très compétents en matière de climat. Or, la connaissance est essentielle à lʼenvie dʼagir. Le côté positif de cette étude est quʼelle démontre que la culture climatique est étroitement liée à lʼadoption dʼactions concrètes pour réduire son empreinte carbone. Une meilleure connaissance du climat peut encourager la mise en place de politiques climatiques et d'actions concrètes. Éduquer au climat, cʼest donner quelques clés scientifiques et techniques pour comprendre et cʼest aussi projeter un futur désirable pour créer de lʼenthousiasme à agir.
  2. Forcer les collaborations interdisciplinaires et intersectorielles: Pour accélérer et réussir cette transition vers un secteur immobilier plus durable, il est essentiel que les professionnels de l'immobilier s'inspirent de toutes les composantes de la ville et collaborent avec d'autres secteurs et disciplines. LʼUniversité de la Ville de Demain, Spin-off de la Fondation Palladio, tend vers cet objectif. Jʼai eu la chance cette année dʼintégrer le programme Anticipations créé par J.C. Fromantin qui répond tout à fait à cet enjeu. Il faut démultiplier ces initiatives.
  3. Rendre l'immobilier plus lisible pour les consommateurs : il est crucial de rendre les informations sur les caractéristiques environnementales et sociétales des biens immobiliers, plus accessibles et compréhensibles pour les consommateurs, afin de les aider à faire des choix plus responsables. Je pense que de la même manière que les investisseurs sont aujourdʼhui à la quête dʼindicateurs de valorisation extra-financière pour améliorer lʼimpact des projets et répondre aux nouvelles réglementations, comme celles induites par la taxonomie, il faudrait par effet de ruissellement rendre ces indicateurs lisibles du grand public. Ainsi, le prix conservera une place centrale, mais assimilera dʼautres dimensions. Il intégrera des critères dʼordre environnementaux et sociétaux, gages dʼune consommation plus responsable et éthique, mais également vecteurs de qualité et de garantie.

Au contraire, quelles seraient les actions à bannir immédiatement ?

Une action à bannir immédiatement serait de continuer à fonctionner en silo. Tant au niveau métier, cʼest-à-dire tout au long de la chaîne de valeur de lʼimmobilier, quʼau niveau des compétences internes. Au niveau de la maîtrise dʼœuvre, le fonctionnement en maquette numérique partagée à beaucoup aidé le « désilotage ». Il faut trouver comment en faire de même au niveau de la chaîne globale, pour le bien des projets et pour un meilleur partage de la valeur donnée par lʼamont, mais récupérée en fin de course... Cela permettra de mieux valoriser la partie « conception » qui encore une fois compte majoritairement dans la valorisation bas carbone dʼun projet in fine. Au niveau interne aux entreprises, cela passe par deux choses : plus de dialogue entre compétences qui sera facilitée par des organisations à taille plus humaine. Comme les ruches ou les fourmilières ont des tailles critiques en termes de population à ne pas dépasser, auquel cas elles se démultiplient naturellement par essaimage, je crois quʼil y a des tailles à ne pas dépasser, et/ou certains seuils de croissance qui nécessitent de se réorganiser pour créer des « boites » dans la « boite » toujours à taille humaine, à même de maintenir une forme dʼagilité essentielle à la durabilité. Pour que le politique ne lʼemporte pas. Lʼécologie est tout sauf une affaire politique...

La question de la fin, à quel acteur donneriez-vous la parole pour sʼexprimer sur les enjeux du mieux construire ? des thèmes particuliers sur lesquels il devrait sʼexprimer selon vous ? pourquoi lui/elle ?

Dans le cadre des enjeux du mieux construire, je donnerais la parole à la nature elle-même. Les petits constructeurs de l'environnement tels que les oiseaux, les castors et les abeilles peuvent nous enseigner des leçons précieuses sur la construction écologique, l'utilisation de matériaux locaux et durables, la régulation des écosystèmes et la conception de structures efficaces et économes en ressources. Leur intelligence et leur habileté à créer des habitats robustes et confortables tout en favorisant la biodiversité et en régulant les conditions environnementales sont des exemples inspirants pour les architectes et urbanistes. En écoutant et observant ces petits constructeurs de la nature, nous pourrions trouver des solutions innovantes et respectueuses de l'environnement pour améliorer la façon dont nous construisons nos habitats humains.

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Rodolphe DEBORRE

Directeur Innovation et Renaissance Écologique chez Rabot Dutilleul

Directeur Innovation et Renaissance Écologique du groupe Rabot Dutilleul, Rodolphe Deborre est aussi Fan de Greta, agitateur d'idées d'actions "prospères", administrateur Institut Français pour la Performance du Bâtiment et enseignant de Biodiversité Urbaine. Entretien avec cette personnalité unique, animée par une mission, et son envie de promouvoir et d’être acteur du développement durable dans le secteur du BTP et bien au-delà.