L’interview de Rodolphe Deborre
Directeur Innovation et Renaissance Écologique chez Rabot Dutilleul
"Aujourd’hui, il faut construire de manière digne, décarbonée et efficace et cela passe par la réhabilitation"
Directeur Innovation et Renaissance Écologique du groupe Rabot Dutilleul, Rodolphe Deborre est aussi Fan de Greta, agitateur d'idées d'actions "prospères", administrateur Institut Français pour la Performance du Bâtiment et enseignant de Biodiversité Urbaine. Entretien avec cette personnalité unique, animée par une mission, et son envie de promouvoir et d’être acteur du développement durable dans le secteur du BTP et bien au-delà.
Construction
Présentez-vous rapidement (parcours, influences, etc.) …
Mon parcours a débuté par une Terminale C suivie d'une classe préparatoire en biologie, puis d'études d'ingénieur agro à Toulouse. Un tournant s'est produit lors de mon stage chez EM6, où j'ai appris à vulgariser des concepts scientifiques complexes et à respecter des délais stricts. Après une expérience chez Altran, je me suis installé à Sydney, où j'ai découvert le développement durable grâce à Jean-Luc Denis. Ensemble, nous avons fondé une société de conseil, qui a fusionné plus tard avec BeCitizen. Jʼai alors travaillé sur les enjeux carbone notamment en consultant sur des opérations de construction. Influencé par des figures comme Olivier Sidler et Françoise-Hélène Jourda, j'ai décidé de quitter le consulting pour rejoindre Rabot Dutilleul, où je me concentre sur l'innovation en matière de développement durable et sur la création de bâtiments positifs.
Depuis le début de votre carrière, le développement durable semble avoir été au centre de votre orientation professionnelle, comment expliquez-vous cela ?
Mon dessin animé préféré quand jʼétais petit était Goldorak, car il voulait sauver la planète, cela a probablement influencé ma sensibilité aux enjeux environnementaux dès mon jeune âge. Mais mon éveil au développement durable a eu lieu en 2003, alors que je vivais à Sydney, par le biais dʼun ami Jean-Luc Denis, qui sʼapprêtait à créer un cabinet de conseil en développement durable. En outre, juste à côté de l'endroit où j'habitais à Sydney, il y avait l'un des pionniers dans ce domaine. Une société appelée Ecos Corporation qui avait une philosophie selon laquelle il fallait aider les boites à développer lʼécologie pour gagner plus dʼargent et que si elle gagnaient plus dʼargent grâce à lʼécologie, elle feraient plus d'écologie. L'idée que les entreprises pouvaient concilier profit et écologie a résonné avec mes valeurs. Je me suis alors engagé dans ce domaine, convaincu que je pouvais contribuer à une approche qui marie écologie et performance économique. Cʼest ainsi que j'ai décidé de rejoindre Jean-Luc et de fonder notre société, en aspirant à changer les choses.
Vous avez débuté dans le domaine du journalisme et des sciences, quelles sont les raisons qui vous ont poussées à vous orienter vers lʼimmobilier et la construction ?
Mon parcours dans le journalisme et les sciences m'a permis d'acquérir de solides compétences analytiques, mais la transition sʼest faite chez Be Citizen, ou j'ai eu l'opportunité de me plonger dans l'immobilier et dans la construction, un domaine qui m'a rapidement passionné. À lʼépoque, chez Be Citizen, j'ai découvert que ce secteur regorgeait de solutions concrètes et efficaces pour répondre aux enjeux écologiques actuels. Par exemple, j'ai eu la chance dʼêtre consulté sur des projets comme la conception d'hôtels écologiques et d'accompagner des entreprises comme Bouygues Construction dans leur transition vers des pratiques plus durables. J'ai réalisé que jʼavais toujours eu un attachement profond pour la construction et lʼarchitecture, peut-être ancré en moi. Je ne me voyais pas évoluer dans un domaine voué à une décroissance. Mon ambition a toujours été dʼaccompagner les acteurs du secteur à embrasser une vision durable. J'aime jouer ce rôle de coach, celui qui pousse les autres à avancer et à réussir, plutôt que de leur dire dʼarrêter. De plus, j'avais envie de réorienter mes efforts vers un environnement où le développement durable était déjà compris et intégré dans les pratiques. Ainsi, après avoir exploré plusieurs opportunités, j'ai intégré Rabot Dutilleul. Depuis 2012, je suis fier de constater qu'on n'a jamais remis en question l'importance de l'écologie au sein de notre entreprise. La seule question qui se pose est comment nous allons le faire. Cette focalisation sur l'action est ce qui me motive au quotidien.
Vous êtes Directeur Innovation et Renaissance Écologique chez Rabot Dutilleul un titre quʼon n'entend pas souvent, pouvez-vous nous parler des raisons qui vous ont poussées à faire évoluer votre poste ?
Jʼai intégré Rabot Dutilleul, en tant que Directeur Innovation et Développement Durable, tout en constatant à lʼépoque que l'innovation était en train de se structurer de façon académique dans le secteur. En 2014, j'ai réalisé que le terme "développement durable" perdait de son impact et que les entreprises qui réussissent à concilier performance économique et respect de l'environnement sont en réalité des acteurs militants. Donc je ne voulais plus utiliser ce terme développement durable. Je fais appel à un ami, Julien Dossier qui éditait à lʼépoque le livre “La Renaissance écologiqueˮ inspiré d'une fresque d'Ambrogio Lorenzetti qui illustre les effets dʼun bon gouvernement et dépeint ce que pourrait être un monde décarboné, pacifique et créateur de valeur. Mon rôle consistant à transformer l'entreprise en intégrant ces principes dans notre culture et notre modèle économique, jʼai intégré à mon titre cette notion de Renaissance Écologique.
Quelles limites concrètes identifiez vous à la décarbonation du secteur de la construction ?
Le seul frein, à la transformation des villes, est la culture des personnes qui opèrent la transformation des villes. Il n'y a pas de frein financier, ni de frein technique. Il n'y a aucune difficulté à mettre des pistes cyclables dans les rues, à part la culture. Il n'y a aucune difficulté à végétaliser une rue. Il n'y a aucune difficulté à financer tout cela, quoi qu'il en coûte. Financer des choses aucunement rentables parce qu'il y a une décision politique, cʼest possible et nous lʼavons fait il y a quatre ans, lors de la crise sanitaire du COVID. Nous avons fait un grand coup de frein et nous avons contraint lʼensemble de la population à rester chez soi. Ce nʼest donc pas une histoire d'argent, le seul frein réel est culturel. Quand on rencontre des spécialistes des sujets, ils disent quʼil y a de l'argent, il faut savoir le réorienter au bon endroit, et la technique n'est pas un problème. Donc, si nous savons que c'est possible, cela commence par le client, c'est-à- dire le maître dʼouvrage. Il est essentiel que les maîtres d'ouvrage et les politiques qui les encadrent adoptent une approche proactive en matière écologique et que les techniciens quʼils soient architectes, ingénieurs ou constructeurs collaborent étroitement pour réussir à faire l'objet écologique dans des coûts qui nous donnent envie de faire de même avec le suivant tout en permettant à chacun de gagner sa vie.
Il est difficile dʼimaginer se passer de la construction neuve, notamment en ce qui concerne le logement. Quelles solutions peuvent être mises en place pour améliorer son impact environnemental ?
Cette question est selon moi désuète. Il est essentiel de se concentrer sur la réhabilitation des espaces existants plutôt que sur la construction de nouveaux logements, notamment en Europe où de nombreux bureaux sont vacants, comme par exemple à la Défense. La priorité doit être de redonner vie à ces mètres carrés déjà bâtis, en les transformant pour répondre aux besoins contemporains et écologiques. Il existe une nécessité de construire dans les pays du Sud pour pallier les conditions de pauvreté et aux besoins d'équipements, mais pour le reste, l'innovation doit porter sur l'utilisation optimale des infrastructures existantes pour les rendre décarbonées et adaptés à une ville durable. Les Maîtres dʼouvrage et les collectivités doivent questionner lʼutilisation de tous les mètres carrés vides et sʼaider des architectes, des ingénieurs, des entreprises de construction, pour les rénover et en changer l'affectation le plus vite possible. Les bonnes questions à poser concernent donc la rénovation et la réaffectation des espaces vides, afin de diminuer notre empreinte environnementale tout en valorisant le patrimoine bâti. C'est comment nous traitons les mètres carrés qui sont déjà construits aujourd'hui, pour les rendre dignes, décarbonés, efficaces pour la ville de demain.
La réhabilitation est aujourdʼhui un véritable enjeu de nos secteurs, Rabot Dutilleul lʼintègre par ailleurs au cœur de sa stratégie ASAP, comment la voyez vous évoluer et impacter nos secteurs dans la prochaine décennie ?
La réhabilitation représente un véritable défi stratégique pour notre secteur, et chez Rabot Dutilleul, nous lʼavons intégrée au cœur de notre approche ASAP. Si nous jouons gagnant, dans la prochaine décennie, je nous vois évoluer vers une amélioration significative des processus de rénovation, nous aurons réussi à passer de 50 000 bâtiments mal rénovés par an à 500 000 bien rénovés. Cette évolution serait selon moi possible grâce à la standardisation de nos pratiques. Rien ne nous a été demandé de manière radicale, en termes de progrès alors que nous devons faire fois 10 et c'est radical. Il est impératif que l'ensemble des acteurs de la construction, des plus grandes comme la nôtre au plus petites, saisissent l'importance de la productivité à travers une approche basée sur la standardisation. Alors que le recours aux mains-d'œuvre supplémentaires ou à des budgets considérablement plus élevés nʼest plus viable, la standardisation s'impose comme la solution clé. En parallèle, jʼespère qu'avec la standardisation, nous assisterons à une montée en puissance de l'utilisation de matériaux décarbonés, locaux ou géo-sourcés. Tout peut aller vite, le réemploi, par exemple, a énormément progressé ces cinq dernières années, stimulé par des maîtres dʼouvrage qui exigent des solutions durables. Lorsque le client demande du réemploi, les prestataires répondent, ce qui montre un engagement croissant vers des rénovations écologiques. Il y en a quelques-uns qui trichent en faisant du faux réemploi, mais les tricheurs, il n'y en a pas tant que ça. Dans cette optique, je pense que la prochaine étape sera celle où nous exigerons d'être non seulement décarbonés, mais également de mettre en œuvre des pratiques de réhabilitation décarbonée. Cela passera nécessairement par une standardisation des offres des entreprises de construction. Il nous faudra rediriger une part des budgets actuels, qui souvent maintiennent une demande peu efficace sur le plan énergétique, vers la transformation de lʼoffre des entreprises pour sʼadapter et répondre aux nouvelles exigences du marché.
Membre du CA de lʼinstitut de performance du bâtiment Quels sont les innovations & initiatives identifiées pour améliorer la performance énergétique des bâtiments ? Pourquoi ces initiatives ne sont elles pas plus largement adoptées/Mises en place
Nos initiatives, pour améliorer la performance énergétique des bâtiments ne relèvent pas seulement de l'innovation technique, mais aussi d'une nécessité de changement d'échelle dans nos approches. Nous devons impérativement isoler progressivement les bâtiments et éliminer notre dépendance aux énergies fossiles. Cela nécessite de prioriser ces actions et de les mettre en œuvre rapidement, tout en respectant notre patrimoine architectural. L'une des solutions a considérer avec attention est l'utilisation de la géothermie, qui présente l'avantage d'être une source renouvelable et économiquement bénéfique lorsqu'elle est correctement exploitée. Là où nous avons accès à la biomasse ou à la géothermie, ces ressources peuvent remplacer les systèmes traditionnels alimentés par des énergies fossiles. Il faut également considérer l'adaptation au changement climatique. Cela passe par des stratégies visant à empêcher la chaleur de pénétrer dans les bâtiments en été, comme la plantation de végétation pour favoriser l'ombre et maximiser l'évacuation de la chaleur. Par exemple, l'intégration de panneaux solaires sur les toits n'offre pas seulement des avantages en termes de production d'électricité, mais contribue aussi à l'ombrage. Cependant, ces initiatives ne sont pas encore largement adoptées, souvent en raison de ressentis organisationnels plus que d'un manque d'innovation technique. Les professionnels du secteur doivent travailler ensemble pour massifier ces solutions, en adoptant une approche collective plutôt qu'individuelle. Il s'agit d'une innovation d'organisation tout autant que d'une avancée technique. Pour encourager la mise en place des dispositifs nécessaires, nous devons aussi réfléchir à des modèles de financement, notamment pour les espaces verts et les infrastructures solaires, qui sont essentiels pour notre avenir. Lʼenjeu reste aussi d'assurer une sensibilisation et une responsabilisation collective face à ces transformations.
Quels sont selon vous les avantages et les inconvénients de la construction hors site ? Comment le groupe Rabot Dutilleul se positionne-t-il vis à vis de son utilisation ?
Lorsqu'on parle de construction hors site, ou DFMA (Design for Manufacturing and Assembly) chez les Anglais, il s'agit de considérer le bâtiment comme une combinaison infinie d'éléments standards, un peu comme un jeu de Lego. Cette approche permet dʼoptimiser la vitesse de construction grâce à lʼutilisation dʼéléments standardisés qui sʼassemblent facilement. En adoptant une réflexion industrielle, nous pouvons également attirer des experts transversaux, notamment en écologie, achats et qualité, garantissant ainsi que les éléments posés répondent aux performances prévues. En ce sens, l'intérêt du hors site est clairement démontré : rapidité et efficacité. Cependant, les inconvénients ne doivent pas être négligés. Le fait de produire hors site nʼassure pas toujours la qualité ou lʼadéquation du produit final. Il est essentiel de questionner ce que nous fabriquons et qui en est responsable, notamment en ce qui concerne les conditions sociales et écologiques dans les usines de fabrication. De plus, la délocalisation potentielle des productions et le risque d'une certaine uniformisation architecturale peuvent poser des défis. À mes yeux, l'un des principaux enjeux de la construction hors site est que nous pourrions nous éloigner de notre véritable objectif : la rénovation. L'accent mis sur des constructions rapides de nouveaux bâtiments peut occulter la nécessité urgente de rénover notre patrimoine existant, etc. La question clé est donc : comment pouvons-nous intégrer le hors site dans nos efforts de rénovation ? Actuellement, chez Rabot Dutilleul, nous orientons nos efforts vers le développement de résidences gérées, telles que les résidences pour seniors, tout en maintenant une priorité forte sur la rénovation. Nous avons identifié que, pour certains projets de taille significative, nous serons en mesure de préfabriquer des modules qui pourront être assemblés sur site. Cela nécessite une collaboration étroite avec les industriels, en tenant compte des spécificités régionales et des attentes des maîtres d'ouvrage. Bien que nous ayons déjà réalisé des initiatives dans ce domaine, notre focus principal reste la massification de la rénovation. Nous avons mené des projets, comme celui avec Energiesprong , qui nous ont permis dʼacquérir de précieuses compétences, même si la mise en œuvre peut être complexe. Par ailleurs, nous travaillons activement sur des projets de recherche et développement pour la massification de la rénovation, en partenariat avec l'ADEME et d'autres acteurs publics.
Dans le cadre de Reconstruction nous avons eu lʼoccasion de rencontrer Mr Bonnifet, Groupe Bouygues, qui nous a évoqué un triple défi de la construction : carbone, biodiversité et ressources. Comment la prise en main de ce défi permet selon vous un accomplissement des objectifs du cap 2050 pour le secteur du bâtiment ?
Sur le plan du carbone, il est crucial d'adopter à la fois des stratégies d'atténuation et d'adaptation. Réduire notre empreinte carbone doit être au cœur de notre réflexion sur l'énergie dans le bâtiment. Par exemple, si le prix de l'énergie était en lien direct avec sa quantité de carbone, la discussion se concentrerait sur l'impact carbone à chaque étape du processus de construction. Concernant la biodiversité, nous avons une opportunité significative d'incorporer des solutions qui renforcent la biodiversité urbaine. Cela passe par des initiatives simples comme la végétalisation des espaces, en utilisant des plantes locales adaptées à notre milieu. Ces actions peuvent servir de refuge à la faune et augmenter la qualité écologique de nos villes. La difficulté réside souvent dans la place accordée à ces mesures dans le cycle de construction, car elles sont souvent les dernières considérées. Si ces démarches étaient intégrées dès le départ, dans les cahiers des charges des maîtres d'ouvrage, leur mise en œuvre serait simplifiée et largement bénéfique. Quant aux ressources, il est impératif de réfléchir à la provenance des matériaux utilisés dans la construction. En tenant compte de la matière locale disponible et en l'utilisant judicieusement, nous pouvons non seulement réduire notre impact environnemental, mais aussi enrichir nos constructions d'un caractère vernaculaire. Chaque région a ses propres ressources abondantes, que ce soit du chanvre, du bois ou d'autres matériaux, et les intégrer dans nos projets pourrait redéfinir notre approche architecturale. La transformation de notre secteur passera également par une évolution des mentalités et un besoin dʼinnovation. Il est vrai que beaucoup peuvent être réticents au changement, mais en valorisant les bénéfices et en montrant la simplicité de ces démarches, nous pourrions progressivement engager plus de parties prenantes vers cette transition. Enfin, il est pertinent de noter que des circonstances telles que la pénurie de matériaux ou la hausse des coûts énergétiques nous poussent à repenser notre façon de construire. Ces éléments peuvent activer des changements nécessaires, nous orientant vers une utilisation accrue des ressources locales et durables. En somme, la prise en main de ces défis, lorsque nous les abordons de manière cohérente et intégrée, pourrait considérablement nous rapprocher des objectifs ambitieux fixés pour 2050, en faisant du secteur du bâtiment un acteur clé de la transition écologique.
Déconstruction
Reconstruction
Vous êtes intervenu dans les métiers de la promotion et de la construction et maîtrisez à ce titre la chaîne de valeur liant ces deux métiers. Comment leurs rôles doivent ils selon vous évoluer pour assurer le respect des accords de Paris dʼici 2050 ?
Il est impératif que les rôles des acteurs de la promotion et de la construction évoluent de manière significative. Mais nous devons surtout nous efforcer d'aller au-delà des prévisions actuelles ne sont pas acceptables, l'accord de Paris va nous amener à 3 degrés. Lʼobjectif doit être de faire bien mieux que ça. Notre première priorité doit être la collaboration. En effet, tant que nous n'aurons pas mis en place des solutions éprouvées qui puissent être appliquées à grande échelle, il est essentiel de travailler ensemble plutôt que de se concurrencer. Cette collaboration repose sur un échange de connaissances. À ce jour, nous disposons déjà de nombreuses techniques, il ne s'agit donc pas d'attendre de nouvelles innovations, mais bien de mobiliser les compétences existantes. Les décisions doivent venir des maîtres d'ouvrage, qu'ils soient publics ou privés. Leur rôle est crucial, car c'est à partir de ces choix que les véritables changements peuvent commencer. Prenez la décision de la transformation de Paris en une ville cyclable, initiée par des décisions politiques de Mme Hidalgo et Mr Delanoë. Il a fallu une vision claire pour opérer cette transition, tout comme d'autres villes, par exemple Amsterdam l'ont fait avant nous. La motivation principale derrière de tels changements doit être claire, exemple la décarbonisation, et les acteurs clés doivent établir un plan d'action qui respecte cette nécessité et tout mettre en place pour pouvoir le mettre en place à la bonne vitesse. À partir du moment où la décision est prise, il faut se poser des questions fondamentales sur les architectures à adopter, les savoir-faire en ingénierie et les matériaux à utiliser pour réussir cette transformation. Au-delà de l'approche technique, il est essentiel que nous créions un environnement réenchanté et engageant autour de ces projets.
La transformation doit être perçue non seulement comme une obligation, mais aussi comme une opportunité d'innover et de célébrer le changement. Lorsque les habitants voient des projets de modernisation dans leur quartier, comme l'arrivée de la fibre optique par exemple, ils peuvent l'interpréter comme une avancée positive, malgré les désagréments temporaires. Nous devons donc cultiver cet enthousiasme et donner un sens à ce que nous faisons ensemble. Enfin, il est vital dʼencourager un cadre de travail où lʼéthique et le cœur prennent une place prépondérante. Nous avons démontré notre capacité à agir de manière solidaire et réfléchie, même dans des périodes de crise comme celle que nous avons vécue pendant la pandémie de COVID. En extrapolant cet état d'esprit à nos projets de construction et de promotion, nous pouvons véritablement transformer notre secteur au service d'une vision écologique commune. Par exemple, la Solideo a pris la décision de privilégier une approche respectueuse de l'environnement pour les Jeux olympiques. Elle a exercé une pression significative sur les grandes entreprises du secteur pour qu'elles s'engagent dans cette voie. Pour garantir l'efficacité et réduire les coûts, il est essentiel dʼavoir une organisation plus collective et démocratique sur un territoire. Il est important de collaborer avec un nombre limité d'intervenants ; il est impraticable d'œuvrer à 10 000. Il faut collaborer en équipes restreintes. Cela rappelle des périodes passées, comme à lʼépoque de Haussmann.
Si vous deviez choisir 3 initiatives techniques ou technologiques à fort potentiel à mettre en place dès maintenant, lesquelles seraient-elles ?
Premièrement, je suggérerais de développer des éléments de façades standardisés pour répondre au besoin de rénovation de bâtiments. L'idée est de standardiser ces éléments pour permettre une conception paramétrique et générative. En ayant ces composants uniformisés, nous pourrions accélérer le processus de rénovation en utilisant des outils numériques pour visualiser et planifier les projets de manière efficace. Deuxièmement, ce serait de trouver des solutions pour végétaliser et solariser nos villes rapidement. Comment se protéger des canicules l'été ou encore comment faire des villes éponges dans le sol. La question n'est pas seulement comment le faire, mais surtout comment déployer ces initiatives à grande échelle et dans les meilleurs délais. Végétaliser nos espaces urbains est crucial pour sʼadapter aux changements climatiques, améliorer la qualité de lʼair et créer des environnements plus agréables et durables. Enfin, la troisième initiative porterait sur lʼinstauration et lʼimposition de la géothermie comme source dʼénergie dans les nouvelles constructions et rénovations. Celle-ci permet en effet de puiser des calories dans le sol pour pouvoir chauffer durant lʼhiver, puis de les remettre dans le sol lorsquʼil faut refroidir lʼété (au contraire de la climatisation qui réchauffe lʼair extérieur, qui rentre à nouveau dans le bâtiment par la suite. Les calories mises dans le sol mettent plusieurs mois à ressortir à cause de lʼinertie du sol… Cela permet donc de conserver de la fraicheur, et de sʼadapter aux canicules, ce qui rend la géothermie profonde si séduisante. Dans chacune de ces initiatives, l'utilisation de standards et d'outils numériques est primordiale pour optimiser les processus et prendre des décisions éclairées. Nous devons avancer dans ces domaines avec un sens éthique, tout en étant conscients des défis qui les accompagnent.
Au contraire, si vous deviez bannir 3 pratiques à fort impact rependues dans nos secteurs, lesquelles seraient-elles ?
Si je devais bannir trois pratiques à fort impact dans les secteurs de la construction et de l'immobilier, ce serait :
Si vous étiez nommée responsable de la transformation durable du secteur de lʼimmobilier, quel serait votre plan dʼaction, quels en seraient les axes principaux à mettre en place et pourquoi ?
Mon plan d'action pour la transformation durable du secteur de l'immobilier comprendrait trois axes principaux axés sur l'éducation au climat, les collaborations interdisciplinaires et la lisibilité pour les consommateurs :
- L'étalement urbain: il est crucial de mettre un terme à cette pratique, qui contribue à la dégradation des espaces naturels et à une consommation excessivement éloignée des infrastructures existantes. Nous devons plutôt réorienter les ressources financières des propriétaires fonciers vers des projets de transformation des bâtiments et des quartiers. Il ne s'agit pas simplement de récupérer des fonds sans but ; il est essentiel d'investir cet argent dans l'amélioration de la qualité de vie des habitants.
- L'appropriation exclusive des revenus fonciers : il est nécessaire de remettre en question le dogme de la propriété foncière qui permet une captation des revenus à 100 %. Au lieu de cela, il serait judicieux d'allouer une part significative de ces revenus à la rénovation et à la transformation des bâtiments. L'idée est de garantir que l'argent généré contribue pleinement aux projets qui améliorent vraiment notre cadre de vie, plutôt que de servir uniquement à enrichir les propriétaires.
- La loi MOP (Maîtrise dʼOuvrage Publique) : bien qu'elle ait ses mérites dans un contexte de concurrence saine et de stabilité, la loi MOP peut également freiner l'innovation et la collaboration. En interdisant certaines formes de partenariat et en favorisant une méfiance systématique entre les différents acteurs (architectes, bureaux dʼétudes, sous-traitants), elle entrave les échanges constructifs. Pour avancer vers des objectifs de décarbonation, il est impératif de favoriser une approche collaborative, où chacun peut choisir ses partenaires sur la base de la confiance et de la compétence, plutôt que sur des critères strictement normatifs.
La thématique du développement durable est adoptée à lʼéchelle planétaire de façon très hétérogène. Quels sont les exemples de nations desquelles la construction est abordée différemment et que pouvons nous en apprendre ?
Il est essentiel de garder à lʼesprit que les défis majeurs liés au climat se concentrent principalement aux tropiques, où réside une part significative de la population mondiale. Cela signifie que toute initiative prise par des nations comme la France ou celles d'Europe doit avoir une portée globale, surtout lorsquʼil sʼagit de coopérer avec des pays comme la Chine ou l'Inde. Si la France s'engage à respecter des accords comme ceux de Paris sans encourager une action à lʼéchelle mondiale, son impact pourrait s'avérer limité. En ce qui concerne les méthodes de construction hors-site, on peut regarder du côté des Anglais, des Scandinaves et de certaines régions de Chine, sans oublier le Japon, notamment avec lʼexemple de Toyota. Ces pays ont fait dʼénormes avancées dans le secteur. Les Britanniques, par exemple, ont développé le concept de Design for Manufacture and Assembly DFMA qui a transformé les contrats et les collaborations entre les entreprises, apportant une inspiration significative pour la construction neuve. Les Scandinaves se distinguent également par leur utilisation du bois et leur capacité à créer des éléments standardisés, permettant une grande flexibilité dans les constructions, à lʼimage de ce que fait IKEA dans le domaine immobilier. Un autre exemple inspirant vient des Autrichiens, notamment avec le projet VOLALBERG . En lʼespace de 30 ans, ils ont métamorphosé leur territoire grâce à une architecture contemporaine et bio-climatique, en utilisant notamment du bois local. Cela nʼa pas seulement contribué à la réduction des émissions de carbone, mais a également favorisé lʼéconomie locale en créant des emplois.
Concernant la biodiversité, bien qu'aucun pays ne se démarque clairement, on peut mentionner la culture britannique des jardins à lʼanglaise qui reflète une approche similaire à ce que nous devrions viser dans nos espaces urbains. Il est crucial d'encourager la sensibilisation des citoyens à la biodiversité pour quʼils lʼintègrent dans différentes sphères de leur vie. En résumé, les exemples de la construction à lʼinternational fournissent des enseignements précieux. L'approche hollandaise en rénovation, l'innovation britannique dans le neuf, la valorisation des ressources en bois en Autriche et les méthodes scandinaves en fabrication écologique peuvent tous inspirer la politique et la pratique de la construction en France. Nous devons aspirer à une architecture qui stimule des matériaux locaux et soutient les économies régionales tout en contribuant à la lutte contre le changement climatique.
Vous êtes enseignant sur les thématiques de la biodiversité Urbaine. Quels sont selon vous les points fondamentaux dont les futures générations de concepteurs et constructeurs doivent se saisir dès à présent ?
La biodiversité urbaine est un sujet crucial que les futurs concepteurs et bâtisseurs doivent intégrer dès maintenant dans leurs réflexions. Ces différents points constituent un cadre pour intégrer efficacement la biodiversité dans lʼurbanisme futur : Il est essentiel de ne pas engager dʼinterventions sur un site sans avoir effectué une analyse approfondie de son écosystème. Les transformations doivent être pensées de manière à ne pas détériorer le milieu existant. Par exemple, introduire des graminées sans tenir compte des allergies des habitants ou créer des points d'eau qui favorisent les moustiques ne sont pas des décisions judicieuses. L'idée est de trouver un équilibre qui préserve la cohabitation harmonieuse entre nature et milieu urbain. Lorsque lʼon travaille sur le bâti, le premier impératif est de revégétaliser avec des plantes locales, en accordant une attention particulière aux sols, car ce sont eux qui fourniront le meilleur habitat pour la vie. Cela inclut la création de refuges pour la faune et la protection des corridors écologiques, tels que les trames noires pour les chauves-souris. À lʼéchelle du quartier, le développement dʼespaces naturels et la gestion de lʼeau doivent être envisagés. Les villes peuvent également mettre en place des corridors qui facilitent le déplacement de la faune et promouvoir des îlots de fraîcheur qui contribuent à améliorer le cadre de vie. À lʼéchelle de la ville, il est nécessaire de lier la construction aux éléments qui protègent la biodiversité via des réglementations comme les permis de construire ou les PLU. Cela permet dʼancrer ces pratiques écologiques dans le cadre légal et de faire en sorte que même ceux qui nʼy voient pas dʼintérêt soient contraints de respecter ces normes. La gestion écologique doit devenir une priorité parce quʼelle est plus économique à long terme. En effet, beaucoup de villes ont déjà constaté que les méthodes de gestion différenciée sont moins coûteuses que celles traditionnellement utilisées. Il est aussi vital de sensibiliser et dʼéduquer le public sur l'importance de la biodiversité urbaine. Raconter des histoires et présenter les espaces naturels de manière positive, comme les "toitures sauvages", peut aider à changer les perceptions. L'objectif est de susciter lʼémotion et la fierté à lʼégard de la nature en ville, car un lien émotionnel fort avec lʼenvironnement conduit à des comportements plus respectueux.
La question de la fin, à quel acteur donneriez-vous la parole pour sʼexprimer sur les enjeux du mieux construire ? des thèmes particuliers sur lesquels il devrait sʼexprimer selon vous ? pourquoi lui/elle ?
Je choisirais sans hésitation Julien Dossier, l'auteur de Renaissance écologique. Julien incarne une approche pragmatique et innovante dans le secteur de la construction et de la durabilité, et il serait pertinent qu'il s'exprime surtout sur la ruralité. Il a su saisir l'urgence à laquelle nous devons faire face. Sa démarche est accessible et concrète, notamment avec sa Diagonale du Plein, qui utilise des moyens simples comme le vélo à assistance solaire pour sensibiliser les différents acteurs des territoires tout en favorisant la décarbonation. Ce mouvement, qui relie les populations et les régions d'une manière ludique et engageante, montre que la transition écologique nʼest pas seulement un enjeu technique, mais aussi humaniste. Il pourrait également aborder le besoin de rendre les solutions écologiques accessibles à tous, notamment en milieu rural, où beaucoup de changements peuvent être réalisés de manière efficace et rapide. Son approche montre à quel point il est essentiel de donner la priorité à des solutions simples et déployables à grande échelle. En parallèle, un autre acteur intéressant serait Pierre Charbonnier, un philosophe qui aborde les enjeux écologiques à travers le prisme des luttes politiques contemporaines. Son point de vue serait précieux pour mieux comprendre les dynamiques sociopolitiques qui sous-tendent notre rapport à la construction et à l'écologie aujourd'hui. Sur le plan technique, Pascal Chazal, expert du hors-site, serait également un interlocuteur incontournable. Son expertise sur les méthodes de construction modernes pourrait apporter un éclairage essentiel sur lʼavenir du bâtiment et des infrastructures. Il comprend les facteurs sociaux et organisationnels qui influencent notre capacité à transformer nos pratiques de construction de manière significative.
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Clémence BECHU
Directrice Générale Associée chez Béchu & Associés
Fabrice BONNIFET
Directeur Développement Durable & Qualité, Sécurité, Environnement du Groupe Bouygues